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AmeSud
13 avril 2007

Le chasseur aux papillons s'en est allé...

Il me faut à présent vous conter mon court séjour aux impressionnantes et sublimes chutes d'Iguazú. Mais il m'est difficile de le faire sans l'associer à une autre histoire qui finit bien tristement, sans doute comme toutes les histoires. Il était une fois un chasseur de papillons qui vouait une véritable passion à ces magnifiques insectes volants. De fait, il leur courait après, les yeux rivés sur leurs paires d'ailes multicolores, comme seule Dame-Nature est capable d'en dessiner. De toutes les formes, de toutes les nuances, barriolés, translucides, ou caméléons, les papillons voletaient sous son nez, et lui, épuisette à la main, sans relâche, les traquait tant et plus. Il veillait parfois plusieurs nuits d'affilées, devant un drap blanc suspendu, droit, éclairé par une lampe alimentée par des piles très très puissantes, si puissantes qu'on disait qu'elles avaient dans leurs gènes l'électricité à l'état pur. Il affectionnait ce genre de charade, ces rébus de mots qui le faisaient pouffer de rire quand, ayant tiré notre langue au chat, lui revenait le prévilège burlesque de nous en délivrer le sens caché. Le tissu immaculé, tendu comme un piège de lumière, voyait grossir sa masse d'insectes au fur et à mesure que la nuit s'écoulait et, avant les premières lueurs de l'aube, le chasseur de papillons, souvent, jubilait des nouvelles et fraîches conquêtes qui s'étalaient sous ses yeux hypnotisés. J'ai bien connu ce chasseur et ce regard fasciné. Je l'ai souvent écouté me raconter ses fabuleuses chasses; il me montrait ses trésors et ne manquait jamais de m'expliquer, en bon chasseur qu'il était, l'éthique de sa passion, nourrie de son admiration pour ce monde qui cohabite avec nous sur cette terre. Ne pas écraser, même par inadvertance, un insecte non nuisible, était peut-être sa religion. Joignant toujours le geste au discours, il relâchait les dizaines de miliers qui ne figuraient pas, ou plus, sur sa liste de perles rares. Quand l'une d'elles lui faisait l'offrande de se poser dans les méandres du drap luminescent, il exultait interieurement de joie et s'en allait cérémonieusement recueillir la précieuse créature. Il respectait la Nature, il aimait ses miracles. Il aimait son incroyable complexité autant que sa divine simplicité. De la forêt il tirait sa force; chaque année, il y venait se ressourcer, y puiser calme et sérénité.

Lundi et mardi derniers, pour la première fois depuis presque six moix de voyage sur le continent sud américain, je mettais les pieds sur son territoire, la forêt amazonienne. Le poumon de la Terre, dit-on, dont l'une de ses alvéoles entoure de toutes parts les immenses cascades d'eau à Foz do Iguaçu au Brésil où je me trouvais le lundi et à Puerto Iguazú, en Argentine, le mardi. C'est comme on le dit : une gigantesque vue panoramique depuis le Brésil et quasiment une plongée en leur coeur depuis l'Argentine. Le bruit de la chute de l'eau est impressionant et la force qui se dégage de cet endroit est colossale. Déverser, couler, ruisseler, précipiter, dévaler, chuter, brumiser, encore chuter, sans trêve ni repos, voilà les chutes d'Iguazú, dont les plus impressionantes sont sans conteste celles des gorges du diable. Ajouter à ce cycle sans fin, l'eau gorgée de soleil, et vous obtiendrez des arcs-en-ciel dont on ne sait trop s'ils jaillissent du précipice ou s'ils s'effondrent au même rythme que l'eau qui glisse sans cesse vers les abîmes blancs et diffus. Il y a évidemment d'autres magnifiques spectacles de la nature, et les visiteurs ne s'y trompent pas, en parcourant ce site immense et sauvage. Outre les quelques singes que l'on voit à l'occasion se balancer sur la cime des arbres, on reste - mais vous l'aurez déjà compris - éberlués face aux nuées de papillons qui voltigent ici et là et tout autour de vous. Armé d'une épuisette virtuelle (mon appareil photo), j'ai passé une partie de des deux jours à les chasser, à ma manière. Autant dire qu'il y avait bien longtemps que je ne m'étais laissé aller à contempler ces incestes, qui, ma foi, ne s'en laissent pas conter si facilement; les plus beaux virvoltent bien trop rapidement dans les airs et quand ils finissent par se poser, eh bien, c'est avec les ailes repliées à la verticale qu'ils vous narguent gentillement, dissimulant ainsi la poésie colorée, entr'aperçue durant leur vol. S'ensuit alors comme un jeu de cache-cache, tout du moins, un jeu de patience au cours duquel il faut attendre sagement que le papillon entame ce qui ressemble à une sorte de respiration visuelle; À l'inspiration, il écarte brièvement ses ailes, et les referme brusquement à l'expiration. Le premier mouvement est relativement lent, le second sec et rapide. Quelque chose comme un clin d'oeil, où la paupière prendrait tout le temps de s'abaisser, pour se relever aussitôt. Docile est l'insecte quand il se livre presque sur l'instant, mais la plupart du temps, il faut s'armer de patience et attendre des plombes, comme disait le chasseur aux papillons qui avait bien une image pour cette coqueterie...Sans qu'il n'y ait aucune logique à cela, du côté brésilien, les spécimens m'ont paru, de ce point de vue, beaucoup plus coriaces que ceux se trouvant en Argentine. Quoi qu'il en soit, c'est sous les yeux ahuris mais non moins amicaux de trois anglais et un américain, avec qui je voyageais dernièrement, que j'ai passé ces deux jours à mitrailler les quelques espèces majoritairement présentes sous ces latitudes. Mardi soir, peu avant la fermeture du parque national, des volutes d'une bruine émanant des gorges du diable déposaient de fines gouttelettes sur ma tête presque rasée; y sont venus s'abreuver quelques papillons qui couraient par là. Je figeai cet instant d'une photo, montrant l'un d'entre eux, posé sur mon crâne.

Mercredi matin, près du poste frontière, j'aprenais que mon chasseur aux papillons s'en étaient allé, à son tour, virvolter dans le ciel. C'est le coeur bien triste que je poste aujourd'hui ces clichés photographiques que j'aurais aimé qu'il vît de son vivant. Je te dédicace cette partie sur la forêt d'Iguazú, Danou, tu la liras d'où que tu sois.

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Commentaires
A
Une lecture qui va te passionner cher neveu
AmeSud
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